Estimation : 150 000 / 200 000 € - Adjudication : 8 928 000 €
Toile
Hauteur : 110 cm – Largeur : 180 cm
Signée et datée en bas à droite : Raden Saleh 1855
Restaurations anciennes et accident
Vente du 27 janvier 2018 à Vannes par Maître Jack-Philippe Ruellan
Un record mondial pour Raden Saleh
Ce n’était pas au grenier mais à la cave que se cachait cette exceptionnelle Chasse au taureau sauvage, découverte par Maître Ruellan chez des particuliers. Raden Saleh est sans doute le peintre indonésien le plus renommé, et ses compositions suscitent l’intérêt des collectionneurs comme des plus importants musées. Les nombreux enchérisseurs, plus d’une dizaine en salle et au téléphone, se sont disputé cette toile jusqu’à atteindre un record mondial pour cet artiste.
Collection Jules Stanislas Sigisbert Cézard ; Sa vente aux enchères à Batavia (aujourd’hui Jakarta) le 1er mai 1859 ; Jules Stanislas Sigisbert Cézard, né à Batavia en 1829, est le fils de riches négociants français qui, associés à J. Schounten & Co, exportent du café et du sucre et importent des produits européens. Il fait ses études en France de 1839 à 1852, date à laquelle il retourne à Batavia et se marie avec A. C. Vrede Bik, fille du gouverneur hollandais de l’île Célèbes. Jules Stanislas Sigisbert Cézard reprend le commerce de son père. Il est probablement le commanditaire de notre tableau, Raden Saleh s’étant lui aussi installé à Batavia dès 1851. En 1859, il quitte les Indes Orientales pour rentrer en métropole. A cette occasion, il vend tout le mobilier et les décors intérieurs de sa maison, dont le tableau de Raden Saleh, comme l’annonce le journal Java-Bode du 30 avril 1859 : « een schilderstuk van Raden Saleh voorstellende eene banteng Jagt » (cet historique nous a été indiqué par le Dr Werner Kraus).
Raden Saleh est le premier artiste moderne des Indes orientales néerlandaises. Célèbre au milieu du XIXème siècle, sa renommée a grandi ces vingt dernières années au fil des redécouvertes de ses tableaux. Après la rétrospective au Lindenau-Museum d’Altenburg en 2013, il fait l’objet d’une exposition à Singapour (Between worlds : Raden Saleh and Juan Luna, National Gallery Singapore, 16 novembre 2017- 11 mars 2018). Montrant des dispositions pour le dessin, le jeune prince Raden Saleh fut envoyé à Batavia par son oncle, le régent de Semarang (sur l’île de Java), pour étudier auprès du peintre belge Antoine Payen (1792-1853). Il obtint une bourse du gouvernement néerlandais en 1829, afin de compléter sa formation à Amsterdam avec le portraitiste Cornelis Kruseman (1797-1857) et le paysagiste Andreas Schelfhout (1787-1870). Il vécut en Hollande jusqu’en 1839, puis fit un voyage d’étude de six mois en Europe. Après avoir visité la France, la Suisse, l’Angleterre, l’Ecosse et l’Allemagne, l’artiste s’installa à Dresde durant quatre ans.
Contrairement aux discriminations qu’il avait subies dans la Hollande conservatrice, Raden Saleh était considéré à la cour de Saxe comme un personnage particulièrement fascinant, cultivé et exotique, et fut un proche du duc Ernest II de Saxe-Cobourg et Gotha (1818-1893). Il rencontra alors le sculpteur danois Berthel Thorvaldsen (1770-1844) et le peintre norvégien Johann Christian Dahl (1788-1857), dont l’influence est perceptible dans ses paysages. En 1845, il partit pour Paris où il loua un atelier au 31, avenue des Veuves (connue sous le nom actuel d’avenue Montaigne). Il rencontra enfin Horace Vernet, qu’il appréciait depuis longtemps, dans son atelier à Versailles (il l’accompagna peut-être plusieurs mois en Algérie en 1849). Le comte de Pourtalès lui acheta deux tableaux. Il commença à peindre une large toile, La Chasse au cerf, destinée au roi de Hollande, ainsi qu’une Chasse au tigre qui fut achetée en 1846 par le roi Louis-Philippe sur les conseils de sa fille Clémentine pour deux mille cinq cents francs, une somme très élevée (l’oeuvre a probablement disparu lors de la destruction du château de Neuilly en 1848). En 1847, la Chasse au cerf dans l’île de Java exposée au Salon (239 x 346 cm) reçut un accueil très favorable du public et de la critique (Théophile Gautier le compare aux grands peintres animaliers de l’époque). Acquis par le roi pour trois mille francs, ce tableau est actuellement conservé à la mairie de Saint-Amand-Montrond dans le Berry (dépôt du Louvre). En 1851, après plus de vingt ans en Europe, Raden Saleh retourna en Indonésie avec son épouse, une riche néerlandaise. En tant que premier artiste formé en Europe, il reçut de nombreuses commandes de l’aristocratie javanaise et fut nommé conservateur de la collection artistique de l’administration coloniale néerlandaise. En 1869, il offrit deux tableaux à Napoléon III en guise de remerciement pour l’accueil qu’il avait reçu en France. Ils furent accrochés au palais des Tuileries, mais leur présence à Paris ne fut que de courte durée puisque la guerre franco-prussienne éclata peu de temps après et ils furent détruits dans l’incendie du palais.
L’artiste retourna brièvement en Europe entre 1876 et 1878, mais constatant que le goût artistique avait changé et que son travail était moins à la mode, il rentra en Indonésie, où il mourut quatre ans plus tard. Dix-neuf de ses peintures étaient montrées dans l’Exposition Coloniale de 1883 à Amsterdam. Il est également à noter que plusieurs de ses oeuvres ont été perdues dans un incendie qui a détruit le pavillon néerlandais de l’Inde orientale à l’Exposition Coloniale Internationale à Paris en 1931. Saleh a peint des portraits (plusieurs sont au Rijksmuseum d’Amsterdam), des marines, mais ce sont surtout les représentations d’animaux exotiques et les chasses de grand format qui font son originalité et pour lesquelles il était apprécié. Il ne s’agit pas de reconstitution fantaisiste, mais de scènes auxquelles il a réellement participé. Il a assimilé les combats d’animaux de la sculpture antique, les gravures d’après Stubbs, l’énergie de la bataille d’Anghiari de Léonard et les grandes chasses de Rubens, de Delacroix. Ses compositions en frise dans un vaste paysage ont été marquées par les Chasses de son ami Horace Vernet (par exemple La chasse aux sangliers dans la plaine de Sahara de 1835), qu’il a su réinterpréter et adapter à son héritage javanais.
Notre tableau est ainsi une découverte spectaculaire et exceptionnelle à ajouter à son corpus de Chasses. Le peintre a situé cette scène dans la steppe Alang-Alang de Java et s’est représenté par son autoportrait au centre de la composition, sur le cheval brun, attaquant le taureau avec son klewang, une épée à bord unique. Parmi ses tableaux exotiques citons : La Chasse aux lions de 1841 conservée au musée des Arts Etrangers de Riga (toile, 142 x 88 cm), La Chasse aux tigres de 1846 en collection privée (183 x 291 cm), La Chasse au lion (toile, 88 x 119 cm, vente anonyme, Cologne, 17 novembre 2005 (Van Ham Kunstauktionem), n° 1714) ou encore Six javanais qui poursuivent des cerfs (1860, Washington, Smithsonian American Art Museum, toile, 106 x 188 cm). Certaines de ses oeuvres ont été tirées en lithographie.
Notre tableau représente une Chasse au Bateng. En effet, au cours de la poursuite d’un autre gibier, un cerf ou un tigre, ce buffle sauvage est dérangé et charge le groupe. Saleh a traité ce sujet au moins à trois reprises (collection du gouvernement indonésien - 1840 ou 1841, offert par la RDA en 1965 - ; Leipzig, Museum der Bildenden Künste -1842 - ; Bali, collection du gouvernement indonésien - 1851, provenant des collections royales hollandaises, donné par la reine Juliana en 1970-). On connaît une esquisse pour notre tableau en collection privée à Hambourg en 1989 (panneau, 38 x 58 cm, fiche RKD n°0000152709, permalink 108794).
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Nous remercions Madame Marie-Odette Scalliet, M. Werner Kraus pour l’aide qu’ils nous ont apportée dans la rédaction de cette notice.
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Nous remercions Madame Marie-Odette Scalliet, M. Werner Kraus pour l’aide qu’ils nous ont apportée dans la rédaction de cette notice.