Estimation : 80 000 / 120 000 € - Adjudication : 1 550 000 €

Toile 
Hauteur : 54,5 – Largeur : 48 cm

Restaurations anciennes

Sur le cadre en bas : "Dell' isole Canarie fu condotta al re Enrico, poi da questo duca di Parma inviata : nel 159(?) dipinto" (Des îles Canaries, elle fut apportée au roi Henri, puis envoyée par lui au duc de Parme : en 159(?), elle fut peinte)

Vente du 4 juin 2023 chez Rouillac par Maître Aymeric Rouillac

 

Notre tableau est à rapprocher de la composition de Lavinia Fontana conservée au musée des Beaux-arts de Blois.

 

La jeune Antonietta Gonsalvus, aussi appelée Tognina Gonzales, est passée à la postérité grâce à son portrait à l'huile réalisé vers 1595 par la peintre bolonaise Lavinia Fontana (Musée des Beaux-Arts, château de Blois, n°997.1.1). Comme son père et la plupart de ses frères et soeurs, « Tognina » souffre d'hypertrichose, une maladie génétique provoquant une pilosité envahissante. En 1547, son père Pedro Gonzales, né à Ténérife et alors âgé de 10 ans, est offert au roi de France Henri II à l'occasion de son sacre. La possession de cet « homme sauvage » est source de prestige pour le monarque, qui lui attribue une partie du parc du château de Fontainebleau et l'élève avec les autres enfants de la Cour. Pedro prend alors le nom de Petrus Gonsalvus. Au décès du roi Henri II en 1559, il est marié à Catherine Raffelin, nourrissant la légende du conte « La belle et la bête ».

Au décès de Catherine de Médicis en 1589, la famille Gonsalvus et ses sept enfants est envoyée en Italie, accueillie chez différents nobles. L'inscription en italien sur le feuillet que tient ici Antonietta, semblable à celle du portrait Blois, raconte le parcours familial : « Don Pietro, un homme sauvage découvert dans les iles Canaries, a été transporté chez son altesse sérénissime Henri, roi de France, et de là chez son excellence le Duc de Parme. C'est de lui que je suis issue, Antonietta, et que l'on me trouve aujourd'hui à la cour de Dame Isabella Pallavicina, l'honorable marquise de Soragna ».

Le périple des Gonsalvus depuis la France vers l'Italie est connu grâce aux observations scientifiques qui sont réalisées à chaque étape. Merry Wiesner-Hanks l'a remarquablement documenté dans son ouvrage publié en 2009 aux presses universitaires de Yale : « The Marvelous Hairy Girls : The Gonzales Sisters and their Worlds ». A Bâle, le physicien Felix Platter étudie ainsi deux enfants et commande leurs portraits. Les tableaux, dont celui de Maddalena Gonzales, seront ensuite envoyés à l'archiduc Ferdinand II et accrochés en son château d'Ambras, lequel donnera son nom au syndrome pileux représentés sur ces toiles.

En 1594, Antonietta qui serait alors âgée d'une quinzaine d'années est examinée à Bologne par Ulisse Aldrovandi, dont les notes scientifiques ne seront publiées qu'en 1642 dans l'ouvrage « Monstrorum Historia ». C'est à ce moment que son amie la peintre Lavinia Fontana, formée par Sophonisba Anguissola, réalise le portrait de Blois. Fontana collabore alors en effet avec d'autres peintres, hommes et femmes, au projet éditorial à venir d'Aldrovandi, dont sont conservées 8.000 aquarelles. Sur l'une d'elles, un autre portrait ressemblant à celui d'Antonietta, avec les mêmes fleurs dans les cheveux et la même robe de brocard, diffère par son inscription : « Une femme poilue de vingt ans dont la tête ressemble à un singe, mais qui n'est pas poilue sur le reste du corps ».

Suscitant la plus grande des curiosités de son vivant, allant de la crainte sauvage à la défiance animale en passant par le statut d'objet précieux offert en présent, Antonietta est une petite fille sans équivalent dans l'histoire de la peinture. L'apparition de cette toile inconnue, peinte par une artiste femme, est d'autant plus marquante qu'elle représente une enfant dont la trace disparait à la fin du XVIe siècle en Italie, alors même que se déroule au Musée des arts décoratif à Paris l'exposition évènement « Des cheveux et des poils ».