Estimation : 12 000 000 / 15 000 000 € - Adjudication : 24 381 400 €
Huile sur toile
Signée « Chardin » en bas à gauche sur l’entablement
Hauteur : 38 cm – Largeur : 46 cm
Vente du 23 mars 2022 chez Artcurial Paris par Maître Matthieu Fournier
Cette adjudication est non seulement un record pour une œuvre de Chardin mais aussi un record pour un tableau français du XVIIIème siècle.
une icône de la peinture française du XVIIIème siècle
Avec cette extraordinaire nature morte, Jean Siméon Chardin transcende la matière et la simple représentation d’un panier de fruits posé sur une table pour nous livrer un véritable chef d’œuvre. La présentation de ce tableau aux enchères fut un évènement majeur du marché de l’art, électrisant professionnels et amateurs de tous horizons. Cette toile est en effet une icône de la peinture française du XVIIIème siècle. En couverture du catalogue de la première rétrospective sur Chardin à Paris, au Grand Palais, en 1979, ce tableau voyagera par la suite au gré des différentes expositions à Düsseldorf, Londres, New York, Ferrare, Madrid ou encore Tokyo. L’image de ce panier de fraises des bois, si simple et si saisissante, s’est imposée jusqu’aux flancs des bus au Japon !
Le miracle Chardin
Les différents éléments équilibrent parfaitement cette composition faussement élémentaire. La pêche et les cerises se reflètent dans le verre d’eau, tandis que les tiges d’œillets, tout justes cueillies, s’imposent au premier plan. Les frères Goncourt, en 1863, seront justement subjugués par ces deux fleurs à la blancheur fascinante : « c’est là le miracle des choses que peint Chardin : modelées dans la masse et l’entour de leurs contours, dessinées avec leur lumière, faites pour ainsi dire de l’âme de leur couleur, elles semblent se détacher de la toile et s’animer, par je ne sais quelle merveilleuse opération d’optique entre la toile et le spectateur dans l’espace.» («Chardin»,Gazette des Beaux-Arts, Paris, juillet 1863, p. 514 et suiv.)
Notice de l'œuvre
Exposé par l’artiste au Salon de 1761 (partie du n°46), redécouvert par le collectionneur François Marcille un siècle plus tard, et disparu de la vue du public jusqu’aux rétrospectives de 1979 et 1999 à Paris, Le panier de fraises des bois s’est imposé avec le temps comme une des images les plus célèbres et emblématiques du XVIIIème siècle alliant une composition d’une grande simplicité géométrique à une qualité d’exécution exceptionnelle. Parmi les cent vingt natures mortes environ que Chardin a conçues, il a souvent représenté les mêmes objets ou les mêmes fruits, gobelets d’argent, théières, lièvres, prunes, melons. Notre nature morte est la seule de Chardin à montrer des fraises comme sujet principal d’un tableau. Chardin est admiré pour la qualité de silence de ses œuvres, la poésie dans ses représentations des objets quotidiens, de méditation, en retrait de l’agitation du siècle, concentrés ici dans une image unique à son époque.
Panier de prunes (Paris, Musée du Louvre)
Verre d’eau et cafetière (Pittsburgh, Carnegie Institute of Art)
Ce tableau fait la synthèse de deux siècles des rares représentations de coupe de fraises isolée par les peintres nordiques et français, tels que Jacob van Hulsdonck, Adriaen Coorte, Louise Moillon, tout en basculant la conception de la nature morte vers la modernité. Le sujet devient alors moins important que la représentation abstraite des formes et des volumes. Notre tableau est directement comparable, par sa composition comprenant le verre à gauche, un volume central pyramidal sur un entablement horizontal, émaillé de quelques autres éléments, au Panier de prunes (Paris, Musée du Louvre), au Verre d’eau et cafetière (Pittsburgh, Carnegie Institute of Art), datés de la même période et considérés comme des chefs-d’œuvre absolus. Les deux œillets blancs sont identiques à ceux du Bouquet de fleurs de la National Gallery of Scotland à Edimbourg. Chardin est alors au sommet de son art et de sa carrière. La virtuosité du peintre s’exprime dans l’incroyable transparence de l’eau dans le verre en cristal, le rendu des fruits à la fois précis et flou, par une seule masse, le tout mis en espace par les taches blanches des deux œillets dont la tige brise la régularité. Cette modernité des natures mortes de Chardin trouvera un écho important au moment de l’impressionnisme notamment chez Fantin-Latour, Monet, Renoir ... Et la rigueur de ses compositions géométrique se retrouvera au XXème siècle chez Cézanne, Morandi, jusqu’à Wayne Thiebault.
On n’entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes sur les autres et dont l’effet transpire de dessous en dessus. D’autres fois, on dirait que c’est une vapeur qu’on a soufflée sur la toile ; ailleurs, une écume légère qu’on y a jetée. (...) Approchez - vous, tout se brouille, s’aplatit et disparaît ; éloignez - vous, tout se recrée et se reproduit. Diderot, Salon de 1763