Estimation : 20 000 / 30 000 € - Adjudication : 72 000 €

Panneau de dévotion. Peinture à l’œuf et fond d’or sur panneau de bois fruitier, peint au revers

Hauteur : 23,8 cm – Largeur : 15,4 cm


Vente du 29 mai 2024 à Clermont par la maison de vente Ivoire Clermont

STYLE

Malgré les dommages infligés par le temps, la qualité exceptionnelle de cette œuvre demeure évidente dans la représentation  du visage du Christ. La  douleur  pénétrante exprimée par l’attitude penchée de la tête, les yeux mi-clos, la bouche exhalant un faible souffle et la petite ride crispant le front, le modelé du visage émacié, cadavérique, s’étirant le long de la fine courbure nasale soulignée d’un rai lumineux, tout ceci  témoigne d’une maîtrise stylistique de haut niveau.                      

L’exécution de ce panneau, inédit, est à replacer dans le courant «simonesque» des années 1340-1350 défini par Weigelt en 1931[3].  A la suite des œuvres magistrales de Simone Martini, se développe un mouvement pictural initié par le grand maître et son atelier, ce dernier comprenant depuis les  années  1320 jusqu’en 1344-1347, son frère Donato, et à l’occasion,  ses deux beaux frères : Lippo et Tederigo (ou Federico) Memmi.[4]

 Autour de ce foyer familial, s’est agrégée une cohorte d’artistes, aux noms de convention, tentant de se familiariser avec les habitudes stylistiques et ornementales du maître -fondées sur l’élégance, le raffinement de la ligne enveloppante et la vibration du modelé- et d’égaler l’extrême qualité du style de Simone. Parmi ces artistes se détachent, entre autres, le Maître de la Madone Straus et le Maître de la Madone du Palais de Venise, deux peintres qui, pour la critique récente, pourraient représenter respectivement les personnalités de Donato Martini et de Tederigo Memmi dont parlent les documents mais dont aucune œuvre  n’est attestée.

 Le Maître de la Madone du Palais de Venise,[5] est l’appellation éponyme du lieu de conservation d’une Madone et l’Enfant, autrefois localisée au Palais de Venise à Rome, conservée aujourd’hui à la Galerie Barberini. Autour de cette œuvre la critique a réuni  en un seul retable: trois  panneaux avec  Saint Pierre, Sainte Madeleine (Londres, National Gallery) et  Saint Paul (collection particulière) 

 Une grande Madone et enfant en trône avec anges et saints (Florence, collection Berenson) 

 Deux panneaux avec Saint Victor et Sainte Couronne (Copenhague, Statens Museum)[6]

Le Mariage Mystique de sainte Catherine (Sienne, Pinacoteca Nazionale, n°108)[7]  

C’est proche de cette dernière œuvre considérée de la fin de la carrière du peintre,  qu’il faut situer la réalisation de ce Christ de Pitié.

On y retrouve les caractères du style du Maître de la Madone du Palais de Venise dans l’étirement des formes conférant une certaine raideur au dessin de ce Christ, dans la  dissolution des volumes et dans l’expression tendue sous l’effet de la douleur. Les similitudes entre le visage oblong du Christ et celui de la sainte  du Mariage mystique de sainte Catherine ( fig.5) sont frappantes : on y discerne une manière identique de placer très haut les yeux en amande au sommet d’une fine courbe nasale surmontant  une bouche étroite soulignée d’un trait lumineux typique des œuvres de ce maître.[8]                                                                                                                                                                                       

Quant à l’ornementation poinçonnée, elle témoigne de l’utilisation récurrente qu’en font les suiveurs de Simone Martini créateur d’une importante variété de dessins. Rappelons que les matrices de ces poinçons circulaient et se transmettaient d’un atelier à l’autre lors de la disparition d’un maître. Certains poinçons retrouvés dans ce panneau sont identiques à ceux utilisés par Simone Martini, notamment  l’arcade trilobée  de la bordure et la rosette quadrilobée, cette dernière apparaissant dans l’auréole de  Jérémie (Avignon, Musée du Petit Palais, n°254a). Quant au quatre-feuilles  du nimbe du Christ, il est également remarquable, car il apparaît  chez le Maître de la Madone du Palais deVenise dans l’auréole de l’Enfant du Mariage mystique de sainte Catherine  et revient chez  Bartolomeo Bulgarini [9] (Sienne, vers 1310-1378) 

La transmission de ce poinçon a pu intervenir vers 1350, époque à laquelle  ces deux artistes exécutent conjointement le retable de l’autel Saint Victor de la cathédrale de Sienne  peint entre 1349 et 1351[10].  On placera à la même époque  l’exécution du Mariage mystique de Sainte Catherine,  généralement considéré par la critique de la fin de la carrière du maître, ainsi que  la création du  Christ de pitié, si proche de ce dernier ouvrage.  

 


 
[1] L’origine de cette représentation  provient d’une icône orientale vénérée dans l’église Sainte Croix de Jérusalem à partir du XIIe siècle.

[2] G. Chelazzi Dini in Il Gotico a Siena, exposition Sienne 1982, n°120, p. 336 repr.

[3] C. Weigelt, «  Minor Simonesque Masters »,  Apollo, XIV, 1931, p.11-12).

[4] Sur l’organisation de l’atelier  de Simone Martini, cf. G. Previtali,  catalogue exposition Simone Martini e chompagni, Sienne, Pinacoteca Nazionale, 27 Mars-31 octobre 1985, p.11-32. 

[5] Cf. M. Lonjon, in l’Art gothique siennois, exposition Avignon, Musée du Petit Palais, 26 Juin-2 octobre 1983, p.144-146

[6] Cf. B. Berenson, Italian Pictures of the Renaissance, Central Italian and North Italian schools, Londres, 1968, vol. II, respectivement figs. 310-312; 307-309), 

[7] in Simone Martini e chompagni, op. cit. p.107-109, repr. 

[8] Cf. M. Leoncini, in La Pittura in Italia, Il Duecento e il Trecento, 1986, vol. II, p.607-608

[9] Cf. E. Skaug, Punch marks from Giotto to Fra Angelico, Oslo 1994, vol. I, p. 249, vol. II,  § 7.12. poinçon n°346 

[10]  Retable composé des panneaux  de saint Victor et sainte Couronne peints par le Maître de la Madone du Palais de Venise (Copenhague, Musée Royal des Beaux-Arts)  flanquant à l’origine le panneau central de la Nativité de Bulgarini (Cambridge, Mass, Fogg Museum)